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Voyage au cœur d'une agroforêt

La plupart des Ticos possèdent une finca où ils font pousser leurs fruits et légumes pour se nourrir. Cette agriculture vivrière mélange animaux, plantes et arbres sur la même surface pour optimiser la production et avoir à la fois des œufs, de la viande, des légumes, des fruits et du bois pour l'énergie et le battis: une méthode de production appelée agroforesterie parmi les agronomes mais qui aux yeux des habitants d'ici n'est rien d'autre qu'un jardin tout à fait normal...


Cacao, banane, plantain, palme, noix de coco, goyave, mangue, orange, mandarine, citron, carambole et j'en passe s'observent dans la plupart des "fincas". Pour la strate herbacée: manioc, gingembre, curcuma, citronnelle, cucurbitacées, riz, haricots, maïs, canne à sucre, ananas etc... sont aussi présents aux alentours des maisons. Tout ceci constitue l'alimentation de base de la plupart des gens des communautés. Bien évidement toutes ces bonnes choses attirent une panoplie d'oiseaux multicolores aux chants toujours plus exotiques, de nombreux singes faisant des acrobaties entre les fruits et de nombreux autres animaux et insectes. Lorsque l'on a le privilège de visiter ces fermes, un véritable jardin d'Eden se trouve au dessus de notre tête et il suffit de tendre la main pour ramasser tous ces fruits dont les saveurs se mélangent.





On appelle cette forme de production une "agroforêt", l’ancêtre de l'agriculture dans les tropiques, et qui est toujours très présente dans le monde entier. L'agroforesterie, souvent à la base d'une agriculture vivrière et rarement de rente ou industrielle, se base sur l'observation de ce qu'il se passe dans la nature : mélanger les espèces pour optimiser l'utilisation de l'eau et des ressources lumineuses, chimiques et organique et favoriser les interactions positives pour maximiser la production. Tout comme dans une forêt primaire, l'agroforêt possède une structure avec plusieurs strates : arborée, arbustive et herbacée de la manière à maximiser l'utilisation de l'énergie photosynthétique et donc la productivité du système agricole. Voici un bref aperçu de cette structure :


Premièrement, tout en haut l'on observe les plus grands arbres ( manguiers, jacquiers, arbres à pain etc...) qui sont ceux ayant besoin du plus de lumière et allant la chercher par eux même. Ils ont besoin de dépasser tous les autres arbres pour voir le ciel et peuvent atteindre plus de 40 mètres. La présence de ces arbres signifie que la forêt est suffisamment âgée et donc qu'elle est à son stade d'équilibre ( le stade climax).


En descendant plus bas viennent ensuite les épiphytes et lianes qui atteignent la lumière en utilisant les arbres comme supports.

Les épiphytes sont des plantes poussant sur le tronc ou les branches des arbres : leur graine ayant été déposé là par un animal, le plus souvent un oiseaux (dans les déjections). Les épiphytes possèdent des racines capables d'absorber l'humidité de l'air et trouver les sels minéraux, partiellement dans l'humus qui peut se former à la base des branches, et pour une autre partie dans les particules et gaz, absorbés ou solubilisés dans l'eau de la pluie et des rosées. La vanille faisant partie de la famille des orchidacées est une épiphyte dont la gousse parfume nos glaces et gâteaux. Des projets de développement agricole promeuvent la culture d’épiphytes ornementales dans les agroforêts.


Les lianes sont des plantes grimpantes s'enroulant autour de l'arbre pour y atteindre la lumière. Leurs racines sont ancrées dans le sol et puisent l'eau et les éléments dans la solution du sol comme la plupart des autres végétaux.

Il ne s'agit généralement pas de plantes-parasites ni de compétition, certaines pouvant même apporter des bénéfices à leur « hôte ». La majorité des lianes poussent à partir du sol vers le ciel. D'autres peuvent être épiphytes de façon temporaire au cours de leur cycle de vie : la graine apportée par un animal germe dans l'arbre, laisse descendre une longue tige dont le bourgeon apical s'enracinera dans le sol, la sève pouvant alors remonter vers le haut. On parle alors de lianes hémiépiphytes. Le Poivrier est une liane qui s'agrippe aux Manguiers et qui parfumes nos plats. De nombreux projets de développement de poivriers existent à Madagascar et sont soutenus par le CIRAD notamment.


En descendant plus bas, on observe des arbres de taille moyenne et nécessitant l'ombre des grands arbres pour être dans leurs conditions optimales de production. Souvent appréciés des singes, ces arbres présentes généralement des productions importantes de fruits et sont très présents dans les fermes. Cocotiers, Palmiers ainsi que les grandes herbacées que sont les bananiers sont de la partie. Les bananiers sont des herbacées aux grandes feuilles pouvant mesurer plusieurs mètres. Chaque pied de bananier donnera un seul régime de banane. Après récolte, la plante est coupée sauvagement à la machette. Il existe dans certaines "fincas" plus de 10 variétés différentes de bananes ( des petites, des grandes, des rouges, des vertes, pour le petit déjeuné, pour le plat cuisiné, en chips, en dessert etc...).



Plus bas encore on trouve des arbres plus petits comme les cacaoyers, goyaviers, pommiers d'eau, les orangers, citronniers et autres caramboliers. Tous ces fruits sont un régal pour les papilles : lorsque vous êtes reçu chez un Ticos vous pouvez être sûr qu'un grand verre de "fresco" vous sera servi : jus de mandarine, de fruit de la passion, de carambole ou de citron doux cueilli et pressé devant vous. Un vrai plaisir, surtout quand il fait chaud...




Enfin, plus bas encore nous quittons la strate arborée pour la strate arbustive où l'on rencontre des arbres dépourvus d'un grand axe principal et qui cherchent la lumière en s'étalant. Parmi ceux-ci nous pouvons citer le caféier et la plupart des baies ( que l'on retrouve également majoritairement sous formes d'arbustes dans les zones tempérées).










Au sol, on trouve la strate herbacée, celle qui nous fournit la plupart de nos légumes. Mais en fait c'est quoi un légume? C'est la partie d'une plante potagère que l'on consomme. Tous les végétaux que nous consommons et qui viennent du potager ou des jardins sont des légumes. Il existe des légumes-tiges (asperge), des légumes feuilles ( choux, salades), des légumes-racines (carotte), des légumes fruits (courgette, tomate etc...). Ainsi dans cette agroforêt on trouve du Manioc, qui est une racine, du gingembre et du curcuma, qui sont des rhizomes ( racines pouvant donner naissance à une autre tige ), des cucurbitacées (courges et courgettes entre autre) qui sont des fruits, de la citronnelle, dont les feuilles sont utilisées pour parfumer les plats, des haricots etc etc...


Bien sur au milieux de tout ça se baladent les poules, les canards, les cochons, les chiens le enfants, les touristes etc...

Ceux-ci se nourrissent aussi des fruits et graines tombées au sol ou d'insectes et petits animaux passant par là. Leurs excréments apporteront la matière organique nécessaire aux plantes. Ils vont aussi tondre l'herbe pour éviter la concurrence. Chacun a son rôle et chacun y trouve sa place.


La nature est bien faite et l'état d'une forêt naturelle est le résultat d'évolutions complexes que la sélection naturelle a mit des millénaires à élaborer. Ainsi, si telles ou telles plantes se trouvent cote à cote dans une forêt c'est parce qu'ainsi chacune maximise sa survie et donc sa productivité.


Empirisme et sciences:


Il n'y a pas plus efficace pour l'Homme que de s'inspirer de ce long travail qui est certes difficilement explicable par A+B mais qui est le fruit d'un processus on ne peut plus logique qu'est celui de l'évolution naturelle expliquée par Darwin.

L'empirisme a du mal à faire sa place dans les régions tempérées car la science a eu un succès énorme à partir du XVII ème et a permit à notre société un essor technologique incontestable, mais à l'heure actuelle d'une crise mondiale sur le plan des inégalités sociales et sur le plan écologique, je pense que l'on devrait s'inspirer de nos ancètres et de la plupart des pays tropicaux qui pratiquent encore l'empirisme.

L'empirisme, dit Francis Hallé, "est fondé sur des expériences personnelles et sensibles ; ceux qui le pratiquent ne cherchent pas à expliquer un phénomène, ils veulent seulement savoir s'il existe et s'il est possible de lui faire confiance pour se répéter dans l'avenir". Emmanuel Kant affirme que "les faits conduisent la raison pour ainsi dire en laisse". L'observation et l'exemple sont donc à la base de notre compréhension du monde.

Néanmoins, se basant sur ses sens, l'empiriste court le risque que ses sens le trahissent : "moi je trouve que le soleil tourne autour de la Terre, pas vous?".

C'est pour cela que la science est apparue : les scientifiques cherchent à développer leur vision collective du monde pour le comprendre au mieux. La science procède selon une démarche inverse de l'empirisme :elle est une "opération intellectuelle visant à tester la validité d'une idée préconçue nommée théorie". Les faits réels n'ont qu'un rôle annexe de fournir un test de la théorie pour la validée ou l'infirmée.

Je pense que sciences et empirisme ont leurs place dans notre société et dans tous les domaines mais l'on observe que la science a le monopole dans les pays "développés" - que l'on préférera nommer "des hautes latitudes" - et l'empirisme a le monopole dans les pays tropicaux.

La science est devenu l'unique légitime chez nous et l'on accepte plus ce que l'on ne peut pas contrôler et expliquer scientifiquement. Dans les tropiques la problématique est inverse : l'empirisme est encore très (trop?) présent et le manque de moyens économiques ne favorise pas les savoirs scientifiques. Ainsi le manque de connaissances des phénomènes naturels est un frein aux améliorations techniques et donc au développement social et économique.


Pour en revenir à notre agroforêt, il est difficile d'expliquer voire d'améliorer par la science ces systèmes de productions bien que de nombreux chercheurs en agroforesterie et agroécologie y travaillent sur des bases écologiques et agronomiques. Les agroforêts et autres systèmes d'agroécologie sont si complexes qu'il n'est pas à la portée de l'Homme de tout comprendre. Et c'est bien là le frein à la généralisation de l'agroécologie dans les zones tempérée, car elle nécessite un savoir faire empirique que nous avons perdu et qui n'est pas prit au sérieux. Mais les choses changent on y croit !

On peut se battre pour que ces savoirs faire se perpétuent en changeant notre modèle agricole dans les hautes latitudes et en aidant les pays des basses latitudes à développer leurs potentiels agronomiques. Un peu plus de sensibilité et d'observation chez nous et un peu plus de soutien scientifique et de justice chez eux.


Inspirons nous des tropiques au lieu de les exploiter à tors et à travers : nous avons tant à réapprendre.



 


Je recommande vivement de lire ces deux bouquins qui m'ont donné une vision plus claire des inégalités dans le monde et de leurs origines, souvent explicables par des hypothèses complexes et pluridisciplinaires, alliant histoire, économie, sociologie, biologie et géographie etc...:


- Des inégalités parmi les sociétés, Jared Diamond (Parfois difficile à lire car assez technique)

- La condition tropicale, Francis Hallé (Passionnant et facile à lire, il reprend des hypothèses de J.Diamond et les rectifie )

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